UNE IA SANS MéTHODE EST VOUéE AUX GéMONIES

Pour y parvenir, il faut d'abord connaître ses problèmes. Savoir les identifier nécessite de construire un pont, un lien entre l'énoncé et le vrai problème, le besoin non pourvu. Cette qualité de problématisation rend possible l'accès à une boite à outils dont la taille varie en fonction des âges. Si l'IA est une révolution de la caisse à outils, elle ne le sera jamais pour ce qui est du talent de problématisation.

Edgar Morin nous a montré la voie, la seconde vague de l'esprit français de Descartes : il nous faut avoir plus de méthode. Comme disait Einstein, il faut rester plus de temps avec les problèmes. Il avait prédit qu'un jour les machines répondraient à toutes les questions, mais nous prévenait déjà qu'elles ne pourraient jamais poser les meilleures questions.

Cette méthode de problématisation, cette gymnastique intellectuelle, c'est un monopole humain, un bastion qu'il faut encourager, former, valoriser. C'est sur celle-ci que nous devons nous appuyer pour dompter l'IA et la mettre au service du plus grand nombre à travers la résolution des grands problèmes de l'humanité. L'ordinateur quantique tant attendu, combiné à la magie de l'IA, pourraient être déterminants dans la réalisation des objectifs de développement durable, plutôt que servir la grande course à la profitabilité et compromettre les souverainetés des humains qui n'auraient pas livré les bons combats.

Le paradoxe veut que l'IA fasse son entrée fracassante dans un monde où les citoyens vont de plus en plus mal. C'est l'aboutissement de la prise de pouvoir des machines, accélérée par la compétition devenue mondialisée et omniprésente, après une phase, aujourd'hui révolue, de croissance effrénée où chacun a vu son temps libre, sa richesse, sa santé et ses libertés croitre.

Le prix à payer pour cette croissance inédite de richesses fut la spécialisation des tâches, censées répondre à des problèmes que l'on a fini par oublier avec la vague d'industrialisation, de normalisation, de standardisation, au nom de l'obsession à la productivité. Ne demeure que la hiérarchie sociale qui en découle, les dividendes sans cesse plus importants (un domaine où notre pays excelle encore) et finalement la conversion des travailleurs en robots. Ils ne comprennent plus à quel problème correspond les tâches qu'ils répètent. Savez-vous quel problème vous réglez dans la vie, et dans le monde ? Même des grands patrons et des dirigeants politiques ne le savent plus vraiment.

Ce n'est pas qu'ils soient stupides mais ils ne sont juste plus habitués à penser en termes de problèmes à résoudre et ont poussé une armée de cadres condamnés aux bullshit jobs à lubrifier les humains robotisés en leur parlant de devoir, puis de sens et enfin de mission. Mais après avoir délocalisé les emplois, le rêve du grand capital est de remplacer l'Homme par une machine sans état d'âme, dans une destruction créatrice qui laisserait des milliards d'entre nous sur le carreau (ces fameux cadres en premier lieu).

Une décennie d'expérience avec l'IA me laisse plein d'optimisme

Je pense que la solution réside dans le problème, comme toujours. Si l'IA était démocratisée au maximum, elle pourrait répondre à la quête de sens et d'impact des citoyens du monde. S'ils peuvent (encore) répondre aux défis de l'époque et améliorer le monde pour les générations futures, car l'IA va pouvoir accélérer la transition environnementale, la démocratie participative et tout le reste, sans exception.

Puisque personne ne peut arrêter le progrès, il est de notre devoir de protéger les citoyens des tsunamis technologiques qui se profilent en leur offrant des outils pour en tirer profit. Cet outil surpuissant présente de multiples dangers, oui, mais il peut être un outil de libération, d'émancipation et de créativité qui redistribuera les cartes d'un monde devenu trop injuste pour tenir debout et pour vivre ensemble.

C'est pour cela que nous avons développé un outil de prototypage d'applications d'IA sur-mesure, en quelques minutes et sans connaissance informatique. La majeure partie de la valeur, du temps et de l'impact perdus se jouent dans cette phase de prototypage où l'IA permet des économies et un partage des connaissances, des possibles qui progressent à une vitesse délirante.

Cette révolution peut cesser de donner le pouvoir aux tenants de la technologie et le rendre à ceux qui détiennent légitimement le savoir et le savoir-faire, ceux qui connaissent les vrais problèmes et veulent les résoudre pour le bien de tous. Pour cela, il ne tient qu'à nous de la démocratiser en y prenant part, en en profitant pour réactiver ce qu'il y a de plus précieux, commun et humain en nous et dont l'épuisement menace les institutions et les organisations partout dans le monde : notre capacité à raisonner.

Les exclus du Banquet étaient jusqu'à présent du bon côté de l'ubérisation

La délicieuse ironie de la vie a opéré un formidable retournement, dont elle a le secret, propulsant ainsi les fortunés d'autrefois dans l'enfer des autres. À nous maintenant de travailler au prochain retournement en faisant en sorte qu'il aboutisse à la situation la plus juste possible. Nous croyons fermement que l'IA, à la condition que nous réussissions à embarquer le plus d'humains possible dans l'arche, est une véritable opportunité d'imaginer et de concevoir un monde plus juste articulé sur les savoirs, les compétences, les intuitions de citoyens qui auront dompté l'IA.

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(*) Hadj Khelil a fondé le data lab BIG mama en 2014. il a lancé en 2024 Hyko.ai.

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